Les risques des méthodes coercitives
- Céline G
- 19 févr.
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 févr.
Pour ce dernier post de la série sur l’éducation positive, on va aborder les risques des méthodes coercitives et expliquer pourquoi on ne les utilise pas. On sait aujourd’hui que l’éducation coercitive génère peur, stress et anxiété, qui entrainent de nombreux risques concernant la santé, le bien-être et le comportement des chiens, et augmentent notamment les comportements d’évitement ou d’agression. Je vous renvoie à ce propos, au très détaillé “Rapport de l’Anses sur le risque de morsure de chien” (octobre 2020). Et pourtant, ces méthodes perdurent.
L'éducation coercitive, c'est quoi
Je commencerai d’abord par définir l’éducation dite « traditionnelle » ou coercitive, et expliquer sur quoi elle se base, et comment elle fonctionne.
La coercition est définie comme l’« utilisation de la force, la menace, la violence ou la pression, pour contraindre un être à agir d'une certaine manière, souvent contre sa volonté; elle existe notamment par contrainte physique ou psychologique ».
Les méthodes d’éducation coercitives du chien sont fondées sur des courants de pensée, et non sur une base scientifique; elles s’appuient sur les notions de hiérarchie, dominance, chef de meute, alpha, etc. Ces notions ont notamment été popularisées dans les années 70 par le zoologue David Mech, suite à une étude sur une meute de loups captifs, au sein de laquelle ont été observés de nombreux conflits.
Je ne reviendrai pas sur ces études car on vous prépare justement une série de posts détaillés sur la dominance chez le chien. Pour cet article, on retiendra juste que David Mech lui-même fit son mea culpa une vingtaine d’années plus tard, arguant que l’étude était truffée d’incohérences et de biais (voir la vidéo).
Depuis, la science a prouvé maintes fois, que la dominance inter-spécifique (humain/chien) n’existe PAS, parce que les humains et les chiens ne partagent ni les mêmes ressources, ni la même communication. Ces notions sont néanmoins bien ancrées dans le monde du chien, apportant de l’eau au moulin de l’éducation coercitive jusqu’à aujourd’hui… Et c’est probablement parce que pour un éducateur traditionnel c’est assez simple: partant de cette vision hiérarchique de la relation humain/chien, une grosse majorité des comportements du chien sont vus comme l’expression de sa volonté de monter dans la hiérarchie, il suffit donc de dominer et de brider le chien dans la manifestation des comportements qui nous dérangent, de le soumettre à notre autorité, pour le rendre docile. Pas besoin d’études poussées, d’observations, de rééducation longue, etc.
Le fonctionnement des méthodes coercitives
En pratique, l’éducation positive utilise le renforcement positif (R+), à savoir l’ajout d’un stimulus agréable afin d’augmenter la probabilité d’apparition d’un comportement, et en dernier recours la punition négative (P-), c’est dire le retrait d’un stimulus agréable pour faire cesser un comportement.
L’éducation coercitive quand à elle, utilise la punition positive (P+), à savoir l’ajout d’un aversif (ou stimulus désagréable) pour faire cesser un comportement, couplé au renforcement négatif (R-), c’est à dire le retrait d’un stimulus désagréable pour obtenir un comportement (par exemple tirer la laisse vers le haut pour exercer une pression sur le cou du chien afin qu’il s’assoit, et retirer la pression aussitôt qu’il pose ses fesses au sol). L’éducation positive est donc basée sur une MOTIVATION du chien A OBTENIR (une conséquence agréable), et l’éducation coercitive est basée sur une MOTIVATION du chien A EVITER (une conséquence désagréable).
Mais c’est quoi un aversif, et quels sont les aversifs utilisés par les éducateurs en coercitif?
On pense évidement aux outils qui causent de la douleur physique (torcatus, colliers étrangleurs, électriques, etc.), et aux outils qui causent de la peur (pet corrector, corne de brume, canette remplie de clous, jet d’eau, etc.). Mais attention, l’outil ne fait pas le coer! Utiliser des cris, bruits secs, menaces, contention (le fameux alpha roll!) ou même juste un haussement de ton, sont tout aussi coercitifs.
A noter qu’un aversif pour un chien ne l’est pas forcément pour un autre, en fonction de sa sensibilité; ce n’est donc pas à l’humain de déterminer de ce qui est aversif ou non, mais c’est bien en lisant le chien qu’on dira ce qui est aversif ou pas pour CET individu (une caresse peut être aversive pour certains chiens, ou un simple haussement de ton peut être très aversif pour un sensible, par exemple).
Mais concrètement pourquoi et comment ça marche?
Prenons l’exemple d’un chien réactif humain: mal à l’aise en présence d’un humain, il grogne et reçoit une correction. Rapidement le chien se mettra à craindre la sanction bien plus que l’approche de l’humain qui lui fait peur. Le chien va donc arrêter d’EXPRIMER son malaise c'est à dire stopper le COMPORTEMENT de grogner pour éviter la sanction; l’EMOTION qui sous-tend le comportement (ici la peur) est pourtant toujours présente.
L'immersion, une méthode coercitive
On vient de voir que l’approche coercitive a recours à la force, la menace, la violence ou la pression, mais elle agit aussi contre la VOLONTE du chien, niant totalement ses émotions. On retrouve ces notions dans une autre technique coercitive, à savoir l’habituation par immersion (à l’opposé de la désensibilisation graduelle utilisée en positif) : c’est à dire plonger volontairement le chien dans une situation qui génère une forte peur chez lui, situation dont il ne doit avoir AUCUN moyen de se sortir.
La conséquence de cette immersion va être que le chien qui ne peut ni fuir, ni lutter, ne tentera plus rien pour se sortir de cette situation, persuadé que tous ses efforts resteront vains; il va donc s’inhiber et arrêter de produire les comportements « indésirables ». Concrètement, il subira, en attendant que ça passe.
Pour donner un exemple, c’est mettre un chien réactif congénères en laisse courte au milieu de chiens libres; tous les comportements adaptatifs et « dérangeants » habituellement utilisés par ce réactif pour gérer cette situation (et que l’éducateur en traditionnel veut faire disparaître), à savoir aboyer, charger et/ou mordre, vont s’éteindre, puisque le chien réalise rapidement qu’ils ne ne serviront à rien. Le chien se retrouve dans un état qu’on appelle la détresse acquise, l’impuissance apprise ou la résignation, concept formulé par Martin Seligman (« Learned Helplessness », Annual Review of Medicine, 1972). Avec cette méthode aussi, le comportement est éteint, mais pas l’émotion qui sous-tend ce comportement (on y reviendra plus loin).
Les risques de l'éducation coercitive
Malheureusement, le coercitif « fonctionne » - du moins du point de vue de ce que le gardien peut observer, à savoir le comportement - et même assez vite de surcroît. C’est cette « efficacité » apparente qui donne du crédit à ces méthodes semblant à première vue, faciles et miraculeuses, et qui explique que les méthodes traditionnelles aient encore le vent en poupe, parmi beaucoup de propriétaires de chiens. Parfois, elles ne seront utilisées que de manière ponctuelle. Parfois, ce sera toute la vie du chien, qui vivra donc une vie entière de peur et d’inhibition, totalement éteint.
Alors ce qui vient immédiatement à l’esprit, c’est évidemment le manque d’éthique des méthodes traditionnelles qui ont un impact négatif sur le bien-être du chien (“Does training method matter? Evidence for the negative impact of aversive-based methods on companion dog welfare” Ana Catarina Vieira de Castro, et al. 2020). Elle créent un climat de peur et de méfiance plutôt que de développer confiance, guidance, coopération et lien affectif secure.
Une vie de peur, de souffrance physique et psychologique en vaut-elle vraiment la peine, pour avoir un chien “parfait” en apparence ?
Quelle relation veut-on avoir avec son chien ?
Est-ce qu’on choisit de l’adopter pour lui infliger une vie de souffrance ou pour le faire grandir à nos côtés ?
L’éducation coercitive génère stress et problèmes comportementaux
Il n’est plus à démontrer que ces méthodes affectent négativement la relation entre l’humain et son chien. Mais la relation à l’humain de référence conditionne aussi le comportement envers des personnes étrangères (Fureix et al. 2009, Hausberger et Muller 2002, Hemsworth, Coleman et Barnett 1999), influençant cette représentation et donc l’émergence éventuelle de comportements agressifs.
L’approche coercitive cause indéniablement du stress. Rappelons que le chien domestique est déjà totalement dépendant de son humain pour des besoins primaires comme manger, boire, faire ses besoins… mais également sortir de ses 4 murs, rencontrer des congénères (ou pas…), et c’est déjà une forme de stress (on se rappelle du confinement?).
Les effets délétères du stress chronique sur la santé physique et mentale, et donc sur le bien-être global du chien, ont été largement étudiés: perte d’appétit, immuno-dépression, stéréotypies, addictions, diminution de la neurogenèse, pessimisme, baisse de motivation, hypervigilance, etc. La surexposition au stress induite par les méthodes coercitives génère une hausse du cortisol qui, lorsqu’il ne redescend pas, est à l’origine de problèmes de santé et d’une réduction de l’espérance de vie.
Les méthodes coercitives sont aussi délétères sur le plan comportemental: elle génèrent ambiguïté et conflits de motivation (vais-je m'en prendre une Va-t-on faire des trucs chouettes ensemble ? Vais-je m'en prendre une alors qu'on fait un truc chouette ?), diminuent l’observation, la capacité à prendre des initiatives et la réflexion, favorisent des stratégies d’adaptation poussées, faisant le lit de nombreuses problématiques comportementales, augmentant notamment le risque de fuite ou d’agression.
Les méthodes coercitives créent des bombes à retardement
Si l’éducation coercitive présente donc un danger pour la santé du chien, elle présente aussi un risque pour l’humain en fabriquant de potentielles bombes à retardement.
Par son côté réducteur « le chien est dominant, il faut le soumettre et c’est tout », elle conduit à l’incompréhension du comportement et incite à la confrontation de l’humain avec le chien. La coercition peut entraîner des comportements agressifs chez certains chiens, qui peuvent réagir par la défense ou l'attaque lorsqu'ils se sentent menacés. Et que dire des punitions physiques… la douleur étant une des causes principales d’agression.
Ces méthodes font entrer l’humain et son chien dans un rapport de force qui apprend au chien à vivre dans le conflit parce que « c’est le plus fort qui gagne ». Ce rapport de force peut s’avérer dangereux pour quiconque s’impose moins ou fait moins peur: on pense évidemment aux enfants, cibles principales des morsures. Ce rapport de force, créé artificiellement, peut également générer de la protection de ressources, qui là aussi, est à l’origine des morsures les plus graves (Jacobs Pearl, et al. 2017), car le chien se met à anticiper le fait qu'il pourrait perdre sa ressource et agit donc en prévention de cette potentielle perte. Le risque est également grand que le chien s’endurcisse vis à vis de la punition, avec une escalade potentielle de la violence des punitions, laissant l’humain démuni lorsqu’il est arrivé au bout de son unique outil.
On peut aussi souligner le fait qu’un chien sous contrôle permanent n’aura jamais appris à se réguler: il sera donc un danger pour quiconque est moins, voire pas dans le contrôle ou la pression, en cas d'imprévu où il n'est plus sous contrôle (portail ouvert par erreur, matériel qui casse…), mais également un danger pour lui-même, si on pense par exemple aux chiens réactifs, qui peuvent devenir complètement insensibles à l'environnement quand ils déclenchent, quitte à passer sous une voiture.
Le risque d’aggravation des problèmes et de mauvaise association
Il existe aussi un risque d’aggravation du problème ou d’émergence de problèmes de comportement supplémentaires, puisque comme vu précédemment, les méthodes traditionnelles ne s’encombrent ni de comprendre les causes qui sous-tendent les comportements, ni de les traiter en profondeur. ****Ainsi, le problème qu’on a « fait taire » a de grandes chances de ressortir ailleurs et/ou sous une autre forme: on se retrouve un peu comme dans ces jeux à la fête foraine où on appuie sur un champignon avec un maillet pour le faire disparaître, et que le champignon ressort ailleurs. On le rappelle, le chien a toujours une bonne raison de réagir: si on ne solutionne pas la cause, il cherchera “juste” une autre façon de satisfaire son besoin, parce que ça lui est nécessaire.
L’utilisation d’aversifs présente aussi un risque de mauvaise association entre le stimulus désagréable et un élément fortuit: imaginons qu'un chien porte un collier électrique, car il aboie dans le jardin sur les gens qui passent (bon, il faut dire que c'est sa seule occupation!); à chaque fois que quelq'un passe, il aboie et reçoit une décharge. Mais comment être sûr de ce qu'il a compris? A-t-il associé cette douleur au fait d'aboyer? Ou à la présence de la personne qui passe? S'il se prend des dizaines de décharges, serait-il vraiment surprenant qu'il se mette a aboyer sur les gens, associés à la douleur, y compris hors de son jardin? S'il se met même à essayer de les mordre, car il pense qu’ils sont la cause de sa douleur quotidienne? Pour rappel la morsure, pour un chien équilibré, n'est qu'une réaction de défense. Le chien n'associe donc pas forcément la punition qu'il reçoit à ce que son maître voulait lui faire comprendre, et cela peut être très dangereux.
Le risque de levée d’inhibition
Mais un des plus gros risques du coercitif réside précisément dans le but des méthodes aversives: à savoir l’inhibition des comportements. Comme on l’a vu plus haut, pour éviter la sanction, le chien stoppe le comportement indésirable, alors même que le pourquoi du-dit comportement n’est pas réglé en profondeur, qu’il est donc toujours latent. Or, un chien ne produit jamais un comportement pour rien: son comportement a toujours une fonction. L’action coercitive ne s’attache pas à résoudre la cause du comportement, elle vient juste étouffer ce comportement, qui n’est que la partie immergée de l’iceberg. Le danger, c’est à la fois que le chien arrête de montrer ses signaux de communication fine (voire de communiquer complètement) et qu’il devienne donc impossible de le « lire » (pour s’ajuster/respecter son état émotionnel, et limiter les risques de morsure), et que l’humain ait l’impression que tout est réglé, puisque le problème de comportement semble avoir « disparu ». Mais à l’occasion d’une situation trop difficile à gérer pour le chien, l’émotion et le comportement qui e découle pourraient exploser d’autant plus violemment que le chien a retenu ses peurs et frustrations longtemps, laissant son humain qui avait baissé la garde totalement surpris. Cette levée d’inhibition est donc d’autant plus violente que le chien s’est « tu » pendant longtemps, et donc que la coercition a été « efficace ».
Des apprentissages peu efficaces
Enfin, en matière d’apprentissage, les méthodes traditionnelles ont souvent peu d’efficacité à long terme: on a déjà vu que l’éducation coercitive avait un effet moindre sur les performances d’apprentissage (stress qui diminue les facultés de réflexion car le cerveau passe en « mode survie » + peur de se tromper > le chien n’ose plus rien proposer > inhibition), comparé aux méthodes positives qui utilisent la motivation à obtenir du chien. Même si elle peut paraître efficace pour une interruption momentanée d’un comportement, la punition ne permet pas au chien de savoir quel comportement adopter à la place : de fait, elle ne favorise pas un apprentissage durable. Les chiens formés par la coercition peuvent difficilement généraliser les comportements souhaités dans des situations différentes. Et encore une fois, jongler entre punition aversive et récompenses (parce que c'est ce que vous diront ces “pros”: qu’ils ne font pas que punir!) créé de l’ambiguïté dans la tête du chien, qui ne sait plus s'il peut vous faire confiance ou non…
Pourquoi on travaille en positif?
Pour conclure, l’éducation positive a pris son essor ces 20 dernières années, parallèlement aux études sur le comportement canin qui n’ont cessé de se développer; on ne peut plus agir comme tonton René qui a eu des bergers allemands toute sa vie et “qui a toujours fait comme ça”. Privilégier des méthodes d'éducation positives basées sur le renforcement des bons comportements, contribue non seulement à un meilleur bien-être pour le chien et à une relation plus harmonieuse entre le chien et son propriétaire, mais aussi à de meilleures performance d’apprentissage sur le court terme, et à des meilleurs résultats sur le long terme; mais surtout, et c’est notre cheval de bataille, elle vient diminuer le risque de morsure.
La violence est le dernier refuge de l’incompétence. Isaac Asimov